FASTI ECCLESIAE GALLICANAE

Diocèse de Sées : note liminaire, par Hélène Millet

Qui n'est pas versé dans l'histoire canoniale ne verra rien d'extraordinaire à ce que le neuvième volume des Fasti Ecclesiae Gallicanae soit consacré au diocèse de Sées. Et pourtant ! Dans la province de Rouen et dans la France du Nord tout entière, le chapitre de Sées représente une exception institutionnelle de taille. Devenus réguliers par la volonté de leur évêque en 1131, les chanoines sont restés attachés à la règle de saint Augustin jusqu'en 1547, date tardive s'il en est puisque les seuls à pouvoir leur être comparés dans la région sont les chanoines de Saint-Malo, sécularisés quant à eux en 1319.

La singularité sagienne est une énigme historique qui aurait présenté un attrait certain pour les chercheurs s'ils avaient eu à leur disposition des archives susceptibles de les renseigner. Mais, comme toutes les communautés régulières, le chapitre de Sées est resté marginal par rapport au système bénéficial, et l'inflation bureaucratique générée par celui-ci ne l'a donc pas touché. Cette règle, que l'observation des nombreux chapitres méridionaux, plus tard venus à la sécularisation que leurs homologues nordiques, a permis d'établir, s'est encore trouvée renforcée, à Sées, ville de plat pays, par les destructions dues aux guerres.

Lorsque le programme Fasti Ecclesiae Gallicanae a été lancé, on savait certes que les chercheurs attirés, pour une raison ou pour une autre, par un diocèse dont la cathédrale abritait des chanoines réguliers se heurteraient au manque de documentation susceptible de nourrir un travail prosopographique. Mais les candidats n'ont alors pourtant pas manqué pour oser relever le défi. L'un d'eux était Françoise Loddé, dont le choix s'est porté sur Sées. Et, treize ans plus tard, Sées est le premier de ces diocèses « difficiles » à voir paraître « son » volume dans la collection. Ce ne sont pourtant pas les obstacles qui ont manqué sur le chemin de la recherche et de la publication !

Les attaches provinciales de Françoise Loddé se trouvaient à Saint-Béat en Comminges. En fait, rien ne la destinait particulièrement à travailler sur Sées, si ce n'est la sympathie qu'elle avait éprouvé pour Grégoire Langlois, l'un des cinq testateurs sur lesquels avait porté la thèse de troisième cycle qu'elle avait soutenue à l'Université de Paris-X Nanterre, en 1985, sous la direction de Philippe Contamine. Quelques années plus tard, on pouvait penser que les travaux menés sur les diocèses de la province de Rouen aboutiraient plus rapidement que les autres. En optant pour Sées, Françoise voulait tout simplement apporter sa pierre à l'édifice commun.

Elle avait enseigné en lycée avant de se former à la recherche historique. Celle-ci était pour elle une manière de lutter contre la perfide maladie qui devait l'emporter, le 14 avril 2001, à l'âge de 68 ans. Pour la seconder, Françoise pouvait compter sur la gentillesse et la prévenance de son époux, au bras duquel elle se rendait aux réunions de l'équipe. J'ai ainsi très présent à l'esprit le souvenir de ce 23 janvier 1998, où, dans la salle du bâtiment O à Villejuif, Françoise nous avait présenté les maigres sources dont elle disposait. Nous nous étions tous efforcés de trouver quelques éléments de réponse aux multiples interrogations soulevées par leur exploitation. Mais que de questions étaient — et restent toujours — mal résolues !

Tout de même un peu réconfortée par cette séance, Françoise avait présenté quelques-unes de ses observations à deux colloques d'histoire normande. Elle avait aussi préparé une première mouture de la base de données prosopographiques pour une centaine d'individus. Mais, quand elle s'est éteinte, elle avait surtout achevé de visiter les sources disponibles, préparé quelques-unes des notices et réuni tous les matériaux nécessaires à la rédaction des divers éléments constitutifs d'un volume de la collection. Bien conscient du trésor que cela représentait, Jean-Pierre Loddé a alors légué aux Fasti les caisses de papiers et de documents consacrés à Sées que son épouse avait amassés.

Pierre Desportes, un ami de longue date de la famille Loddé, m'avait accompagnée pour recueillir et inventorier cet héritage. Impressionné par le soin avec lequel Françoise tenait ses notes à jour, il s'est alors offert à reprendre le flambeau, à condition de n'être pas seul à le faire. Vers qui d'autre aller ? Jean-Pascal Foucher, directeur des Archives départementales de l'Orne, avait présenté un panorama imagé de son enquête sur les bâtiments capitulai-res sagiens à notre réunion de janvier 1999, mais il n'avait pas la disponibilité nécessaire. Il accepta cependant de pousser ses recherches jusqu'à rédiger la notice sur le « quartier canonial », notice d'autant plus attendue qu'elle allait mettre en valeur comment le chapitre de Sées avait donné une traduction architecturale de son originalité institutionnelle.

Une bienveillance du hasard me fit trouver un troisième homme. Au sortir de son doctorat sur la collégiale de Saint-Hilaire de Poitiers, Laurent Vallière cherchait à employer ses nouveaux talents. Nous avons donc fait affaire et partagé le travail sur la base suivante : Pierre Desportes allait terminer la notice institutionnelle et, avec la désormais traditionnelle collaboration de Vincent Tabbagh, rédiger les biographies des évêques, tandis qu'il reviendrait à Laurent Vallière de reprendre le fichier prosopographique et de préparer les notices concernant les sources et la bibliographie.

Cela est bien connu. Il est toujours difficile de terminer une recherche entamée par autrui, même lorsqu'elle a été menée avec l'esprit de méthode qui caractérisait Françoise Loddé. Le livre était donc encore loin d'être achevé lorsque Laurent Vallière eut l'opportunité d'aller travailler à Rome pour l'informatisation du « Fichier Lesellier ». Quelle heureuse coïncidence ! Comme Joseph Lesellier était d'origine normande, il avait relevé avec un soin tout particulier les données concernant Sées. Son fichier s'est ainsi avéré une source d'informations complémentaires inestimable pour les notices prosopographiques. Grâce à cet apport, le nombre des individus recensés — surtout les clercs titulaires de dignités, engagés par conséquent dans le jeu des collations apostoliques — a pu être multiplié par deux.

Mais ces découvertes tardives ont aussi compliqué le travail de coordina­tion et de finition entre les auteurs. De retouche en retouche, ce sont parfois des paragraphes entiers qui ont dû être réécrits. Non pas que les suppléments d'information aient toujours apporté une clarté décisive ! Sur les schismes épiscopaux — dont Sées semble s'être aussi fait une spécialité — l'émergence de nouvelles sources a d'abord révélé des incohérences. Il a fallu toute la ténacité de Pierre Desportes, après une attentive relecture par Heribert Müller, pour parvenir à restituer un enchaînement satisfaisant des faits à l'époque de la rivalité entre Jean Chevalier et Jean de Pérusse.

Dernier motif au retard de la publication, l'entorse que ce volume fait subir aux règles établies pour la collection. Il a en effet paru utile de prolon­ger le répertoire jusqu'à 1547, date de la sécularisation du chapitre. Les sources exceptionnellement précises engendrées par ce changement de statut donnaient en effet des aperçus plus que bienvenus sur son état antérieur. Il nous a en outre paru peu probable que nos collègues modernistes reviennent sur cette cinquantaine d'années, eu égard aux spécificités institutionnelle et documentaire de ce diocèse. En acceptant de relire les notices biographiques des évêques du temps de la Réforme, Nicole Lemaitre a permis que soit clos dans les meilleures conditions un dossier difficile à traiter. Mais pour garder son homogénéité au programme, il a été créé deux corpus distincts ; seules les listes présentées par ordre chronologique se prolongent sans rupture au-delà de 1500.

Il m'est particulièrement agréable de souligner combien ce nouveau volume de la collection doit à l'esprit d'entraide qui prévaut dans l'équipe des Fasti . Chacun a eu à cœur de signaler la ou les références qu'il avait pu glaner sur Sées durant son propre parcours de recherche. Le souvenir que nous avions tous de la gentillesse de Françoise Loddé a sans aucun doute donné une valeur supplémentaire à ces gestes. Je suis heureuse d'en offrir le résultat à sa mémoire et à son époux.

Voici donc le diocèse de Sées nanti, quasi miraculeusement, d'un fascicule qui dépasse de beaucoup les dimensions d'une plaquette. La modestie augustinienne — analogue à celle des moines — est effectivement parvenue à cacher les noms de l'immense majorité des simples chanoines : ils ne sont qu'une vingtaine à être sortis de l'anonymat. Mais elle n'a pas empêché les dignitaires de surgir de l'ombre, et, avec la complicité de quelques sources exceptionnelles, nous pouvons entrevoir, de façon certes sporadique, un peu de la physionomie de l'ensemble capitulaire. La notice institutionnelle, plus copieuse qu'il n'est d'usage, rend compte de ces aperçus, ainsi que les notices biographiques des évêques. C'est un pan du mystère des « diocèses réguliers » de France qui est ici soulevé.

Avec ce neuvième volume, le programme de publication des Fasti va connaître une pause. Plusieurs diocèses (Auch, Autun, Avignon, Châlons-en-Champagne, Clermont, Mâcon, Meaux, Poitiers, Riez…) sont dans un état d'avancement qui permet d'espérer un aboutissement prochain, mais il serait actuellement prématuré d'annoncer lequel verra le jour le premier. Ce répit sera mis à profit pour réaliser le projet, prévu dès le début de l'entreprise, de la réunion des fichiers prosopographiques déjà publiés en une seule base de données cumulées, et de sa mise à la disposition des lecteurs. Cette nouvelle phase s'accompagnera de la mise à jour (corrections et additions) des informations. Que tous veuillent bien se sentir concernés par cette opération : rien ne nous rendra plus service que de recevoir les observations des lecteurs. Merci à ceux qui nous ont déjà fait bénéficier de leurs critiques ou de leur savoir, et merci d'avance à tous ceux qui le feront ( mail, hmillet@cnrs-orleans.fr).

Orléans, le 3 décembre 2004, Hélène Millet, directeur du programme.

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